Comment s'en sortent les labels en ces temps de Corona?

De L'Equipe Gigstarter

C'est un challenge pour beaucoup d'artistes : être signé dans un label. Malheureusement, avec l'apparition du Covid-19, l'industrie musicale a subi une pause forcée ces derniers mois. En ces temps incertains, on se demande si les maisons de disques souhaitent encore intégrer de nouveaux artistes. Nous avons discuté avec Erroll Antonie du label et éditeur Allround chez "BMG Music Benelux", avec Bas Kruijssen du label de trance/dance "Black Hole Recordings" et enfin avec Sami Dmitrovic du label drum and bass "Korsakov" pour savoir s'ils envisagent différemment la recherche et la signature de nouveaux talents aujourd'hui et comment ils s'y prenaient avant le Corona.

À quoi ressemblait la chasse aux artistes avant le Corona?

Sami (Korsakov) : "Tout se passait très bien! En tant que maison de disques, on entrait en contact avec des artistes après certains événements en backstage et les artistes nous jouaient leurs morceaux. On recevait également avons de nombreuses démos sur Facebook ou par e-mail".

Le processus de repérage et de signature des artistes a-t-il changé ?

Erroll (BMG) : "Il n'y a pas de différence. Dernièrement, on n'a pas signé de compositeurs sans les avoir d'abord rencontrés en personne. On a fait tout ça en respectant réglementations du gouvernement hollandais et de BMG pendant cette crise ! Le seul inconvénient, c'est que vous ne pouvez pas voir les artistes jouer en live, en ce moment".

Sami (Korsakov) ajoute : "Peu de choses ont vraiment changé, si ce n'est que la "chasse" ne peut plus se faire par le biais d'événements. À cause de cette épidémie, j'ai l'impression que les gens ont plus de temps pour se plonger dans la composition, donc on reçoit encore plus de propositions qu'avant. Donc la situation est aussi positive d'une certaine manière, mais bien évidemment pas du côté événementiel. Nous ne pouvons pas non plus "pousser" les artistes plus loin. Et oui, l'époque dans laquelle nous vivons a ses avantages et ses inconvénients".

Bas (Black Hole Recordings) : "On reçoit encore beaucoup de démos chaque semaine, donc on n'a pas à chercher activement des artistes qui produisent de la musique !

errollDe gauche à droite : Erroll Antonie, Bas Kruijssen et Sami Dmitrovic

Comme les concerts ne sont toujours pas autorisés, êtes-vous plus prudent quand vous devez signer de nouveaux artistes?

Erroll : "L'offre de compositeurs est énorme en ce moment, mais elle vous oblige à être plus prudent en termes de budget et donc plus sélectif quant aux nouveaux talents. Le fait que les concerts ne soient pas autorisés en ce moment paralyse toute l'industrie, mais aussi sur toute l'économie. Un concert de 30 personnes ça ne suffit pas".

Sami : "On continue à signer des artistes. Pour l'agence de booking, on ne le fait pas. On a signé un duo pendant le Corona : on a posté un message sur un groupe de drum and bass sur Facebook, spécifiant qu'on cherchait de nouveaux talents et qu'ils pouvaient envoyer leurs morceaux. Nous avons reçu plus de 120 démos de différents DJ et un duo était si talentueux qu'on a décidé de le signer et de sortir un album solo. Ils ont également fait de nombreux livestreams pour gagner en visibilité".

Bas : "Non, la plupart des artistes passent des heures et des heures dans leur studio. S'il y a du matériel qui peut être sorti, nous pouvons le faire. On se concentre sur le consommateur final et c'est généralement la personne qui écoute au final un morceau sur Spotify, par exemple. Les labels électro ne signent plus vraiment de contrats d'exclusivité, mais si elles le font, elles y réfléchiront certainement à deux fois en ces temps difficiles. Le plus important, c'est que les artistes recommencent à se produire sur scène".

Quand vous recherchez de nouveaux talents, vous concentrez-vous principalement sur l'interaction et l'engagement en ligne d'un artiste sur les réseaux sociaux? est-ce suffisant pour l'instant?

Erroll : "Non, il faut plus que ça pour signer un compositeur. On regarde la façon dont un artiste "avance" : de qui l'artiste s'entoure et si ça correspond à son profil et au message qu'il veut faire passer.

Sami : "On se penche effectivement sur ses réseaux sociaux, à quoi ressemble son profil, sa communauté et depuis combien de temps l'artiste est actif. Et si l'artiste ne publie pas de choses étranges sur Facebook, haha ! C'est important d'avoir un public et un engagement avec les fans, mais il est également important de savoir si quelqu'un est vraiment passionné par ce qu'il fait. Il doit avoir un objectif".

Bas : "Le plus important, c'est que les artistes qui sortent des morceaux recommencent à se produire sur scène. Grâce aux concerts, ils auront plus de fans et donc plus d'interaction et de flux. Mais s'ils ne peuvent pas se produire pendant quelques mois, la seule chose qu'une maison de disques peut faire, c'est s'assurer qu'ils continuent à sortir des morceaux. Les artistes ne vont pas sortir de gros albums maintenant. La raison est simple : une grande sortie doit être appuyée par une tournée. Vous verrez beaucoup de grands artistes reporter leurs albums. La plupart des artistes de la scène électro sortent des singles, donc ils continueront comme d'habitude ! Donc en tant qu'entreprise du secteur, on continue et on s'assure que les gens ont quelque chose à écouter chez eux! Je ne pense pas qu'on soit le groupe le plus touché par le corona".

Comment rester en contact avec les artistes désormais?

Erroll : "Tout se passe en ligne maintenant et j'ai l'impression que c'est peut-être même plus ciblé/efficace qu'avant le corona ! Ce que j'en pense : c'est plus efficace".

Bas : "Notre contact avec les artistes est le même qu'avant, mais la façon dont ils touchent leurs fans a changé. On joue en direct, mais depuis la maison, derrière l'ordinateur!



PRFCT Mandem, le duo Korsakov a signé un contrat avec le label après une banale publication Facebook

Est-ce que vous pensez qu'à terme les livestreams vont remplacer les concerts?

Erroll : "Je pense que les livestreams peuvent exister après les concerts et peut-être qu'ils doivent exister, mais ils ne les remplaceront jamais !

Sami : "Non, nous aimerions que cela reste gratuit ! J'ai l'impression qu'il ne sert à rien de payer pour un livestream. On peut trouver tellement de live gratuits, surtout pour la scène dance-électro, qu'un live payant ne fonctionnerait pas. Peut-être que si nous offrons quelque chose de vraiment unique, comme la réalité virtuelle, là il y aurait des possibilités".

Si le coronavirus persiste à long terme, qu'en pensez-vous ?

Erroll : "Mon opinion personnelle : l'industrie de la musique a déjà dû se réinventer plusieurs fois et je suis sûr que nous pouvons le faire à nouveau, d'une manière ou d'une autre. Il y a beaucoup d'initiatives entreprises par différents artistes, labels...etc Cela va affecter nos revenus, tout comme le reste de l'économie, donc vous devez ajuster vos investissements en conséquence".

Sami : "En tant que maison de disques, j'ai l'impression que cela a un effet à la fois positif et négatif, car nos ventes sont plus élevées que jamais. Presque tout le monde est à la maison et est au courant des nouvelles sorties : les gens veulent faire quelque chose ! Si le Corona persiste sur le long terme, cela ne changera pas. Cela a aussi des effets négatifs, car un disque ne "percute" pas tant que tout le monde ne l'écoute pas. Maintenant, avec le Corona, il se diffuse auprès d'un "cercle restreint" de personnes et n'est pas diffusé à l'échelle mondiale, ce qui fait qu'il n'a pas le potentiel pour devenir plus important. De plus, les "Label nights" sont aussi annulées et ces soirées sont parfaites pour "vendre" les artistes. Si les événements continuent à être interdits, cela aura un impact financier énorme pour nous. On pourrait même faire faillite, alors j'espère vraiment que les événements seront autorisés à nouveau en septembre".

Bas : "C'est difficile à dire, parce que nous n'avons jamais été dans une telle situation. Nous avons traversé la crise économique en 2008 et beaucoup de petits labels n'ont pas survécu. Les catalogues qu'ils ont laissé derrière eux ont été récupérés par de plus gros labels. Si nous ne pouvons vraiment pas nous produire pendant quelques années, je pense que les petits labels auront à nouveau des problèmes et que les "grands" pourront reprendre leurs catalogues d'artistes. Mais je trouve qu'il est assez difficile de faire des prévisions. Cela peut aller dans les deux sens".

La crise a-t-elle eu des effets positifs ?

Erroll : Tout devait être "plus grand", "meilleur", "plus dur" et "plus rapide". L'humanité a reçu une leçon d'humilité et le secteur de la musique en a fait autant. J'espère que ça se terminera bien".

Quels conseils donneriez-vous aux artistes débutants qui veulent se faire signer ?

Erroll : "Commencez par vous demander ce que vous avez à offrir au label et assurez-vous de savoir exactement ce que vous attendez d'eux. Écrivez 5 choses que vous voulez vraiment / appréciez vraiment et 5 choses que vous ne voudriez ou ne pourriez jamais faire. Motivez vos choix. Rappelez-vous que VOUS êtes le PDG, le directeur financier, le département R&D, l'équipe de vente, etc. Les orgas avec lesquelles vous décidez de collaborer sont de beaux "amplificateurs", mais au final, c'est un travail 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, car il s'agit de votre art, de votre carrière, de votre avenir et de votre marque".

Sami : "Le niveau de production doit être très élevé et vous avez besoin d'un son unique. Si la qualité n'est pas bonne au départ, on passe à côté. Si nous voyons un potentiel, nous vous enverrons un feedback sur la façon de l'améliorer. Nous essayons d'aider les nouveaux artistes, afin qu'ils reviennent toujours vers nous. Qui sait, ils peuvent s'améliorer et mériter d'être publiés. Nous n'essaierons jamais de "créer" un artiste : nous voulons que chacun reste exactement comme il est. Les gens doivent aller de l'avant avec leur propre force et nous pouvons aider à amener quelqu'un un peu plus "haut" !

Une conclusion prudente que nous pouvons tirer de cette conversation : le coronavirus n'a pas seulement eu des effets négatifs ! En bref, les événements ne devraient pas être reportés plus longtemps, car c'est une partie ô combien importante de l'industrie de la musique et qui influence énormément les artistes et labels. S'ils sont reportés plus longtemps, cela aura d'énormes conséquences financières avec des risques de faillite pour certains labels. Événements ou pas événements : la musique continuera toujours à vivre et les vrais talents ne resteront pas dans l'ombre. Et, qui sait ? Peut-être qu'en ces temps de crise, cette forme d'art est plus nécessaire que jamais !

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