En seulement cinq ans, Amine Ben Hamida a transformé son organisation Ignition / Inversion en un des plus gros acteurs européens sur la scène dubstep. Amine a différents rôles à jouer, mais il est avant tout un organisateur d'événements, une profession particulièrement compliquée depuis le début de la crise sanitaire. Il nous parle de l'impact de la crise sur son travail et sa vie, de son stage chez Gigstarter et couvre plusieurs sujets dans ce blog.
Comment as-tu eu l'idée de créer Ignition and Inversion?
'Une fois, j'ai organisé une soirée avec une centaine de personnes au Flevopark à Amsterdam. Là, j'ai rencontré David qui m'a demandé si ça m'intéressait d'aller plus loin. J'avais 400 ou 500 artistes en amis sur Facebook et j'ai pensé qu'il était temps d'en faire quelque chose. On y a réfléchi avec David et on a décidé d'organiser un événement. Au début, Ignition c'était un peu moitié-moitié, mais c'est devenu complètement dubstep.'
Amine Ben Hamida
Quand tu dis moitié-moitié, ça veut dire 50% drum 'n bass et 50% dubstep?
'Oui, c'est ce qu'on voulait faire au début. Mais en fait les artistes drum 'n bass pouvaient être jusqu’à cinq fois plus chers que les artistes dubstep, parce que la drum 'n bass est un genre plus ancré et le marché est en meilleure santé. Une fois qu'on a compris ça, on a programmé beaucou plus d'artistes dubstep et quelques artistes de drum'n'bass, comme la cerise sur le gâteau. C'est comme ça qu'Ignition a commencé à devenir spécialisé dans la dubstep.'
Combien de personnes travaillent habituellement dans l'organisation d'un événement chez Ignition ou Inversion?
'On était trois quand on a commencé, et ça a duré un an jusqu'à ce qu'on déménage à P60, une salle de concert à Amstelveen. Donc on avait la salle mais aussi ses employés. Quand on a quitté P60, on a engagé 4 personnes qui s'occupaient de la communication et du marketing, on avait un graphiste et quelques personnes qui aidaient à la supervision des événements.'
Avec P60, ça a accroché tout de suite? Leur programmation n'est pas plutôt pop rock ?
'On détenait le record de fréquentation sur nos événements. La première année, on a rassemblé 650 personnes dans la salle sur un événement, c'était leur plus grosse soirée, même si elle avait aussi été la plus chère. P60 a vu ça comme un investissement et a travaillé avec nous pendant deux ans et demi jusqu’à ce que la municipalité d'Amstelveen intervienne. Ils ont annulé plus de 70 événements dont les nôtres parce que ça coûtait très cher.'
Peux-tu nous parler d'une journée de travail en pré-production (avant un événement) ?
'On marche un peu aux "éclairs de créativité". En gros, j'allais chez David un soir et au lever du jour on avait un plan d'organisation complet : la programmation, les idées d'organisation, la promotion. Tout ce qui nous restait à faire ensuite, c'était de la mettre en place. C'est comme ça qu'on fonctionne pour tous nos événements. Ensuite, on prend un jour ou deux pour tout préparer. C'est des choses qu'on fait sur notre temps libre : je suis encore étudiant, donc je travaille sur mes événements le soir.'
Ignition Extreme | Official Aftermovie
De quelle édition d'Ignition es-tu le plus fier et pourquoi?
'J'ai organisé Ignition Extreme à ma première année et c'était la quatrième édition. On s'est dit qu'après un an à organiser des événements, on savait comment faire. Alors on a eu cet objectif d'organiser le plus gros événement dubstep des Pays-Bas : on a réussi. Ça nous a coûté cher, mais on a eu des visiteurs de 21 pays différents, y compris de Chine, de Russie, du Brésil... bref, ça a fait le tour du monde. Les artistes qui étaient là nous ont aussi aidés à gagner en renommée. Il n'y avait que 900 personnes dans la salle, et pourtant on croyait qu'ils étaient des milliers.'
Vous envisagez de lancer Ignition and Inversion à l'international?
'Oui. On avait prévu un événement en Belgique, le premier jour du confinement. On avait organisé ça parce que le plus gros événement dubstep du monde, RAMPAGE, avait été annulé. Quand on l'a su, on a commencé à chercher un lieu pour accueillir moins de mille personnes avec des artistes de RAMPAGE, et on a réussi et vendu 650 billets en moins de trois minutes. On nous a dit d'annuler l’événement le même jour.'
Le gouvernement vous a demandé d'annuler?
'Oui. En un jour, le gouvernement belge a changé ses mesures concernant le coronavirus : en interdisant les rassemblements de plus de 100 personnes (contre 1000 la veille). Les événements que RAMPAGE avait organisé pour compenser ont été annulés pour la même raison.'
Comment les mesures affectent ton travail au-delà des annulations ?
'L'édition d'Ignition du 22 août a été annulée. On avait programmé le plus gros artiste qu'on avait jamais eu, et ça sera impossible maintenant que les Etats-Unis ont fermé les frontières. Pour moi, pour l'instant, je n'ai plus de travail. Je ne peux plus organiser d'événements, je ne peux plus aider les artistes dans leurs tournées, je ne travaille plus à TivoliVredenburg (une salle de concert) et mon stage chez Stichting Dock a été annulé aussi... Ce que j’étudiais depuis cinq ans a disparu en fait, ce sur quoi je travaille avec mon entreprise depuis cinq ans risque de s’effondrer. Je ne sais pas si on pourra repartir après ça.'
Comment envisages-tu l'avenir de l'industrie musicale si les mesures sanitaires s'assouplissent ?
'Je ne crois pas qu'on puisse organiser des festivals avec les mesures barrière. Je pense qu'on va bouger vers le virtuel, y compris la réalité virtuelle. On commence à organiser des concerts et des événements sur Minecraft. Il y a quelques semaines, j'ai acheté Minecraft pour me connecter sur un serveur où plus de 40.000 personnes écoutaient des sets pré enregistrés. Ils les ont streamés sur YouTube et tout le monde pouvait en profiter.'
TwoPhazed pendant l'événement 50HURTZ au Melkweg, Amsterdam
'Tout devient de plus en plus virtuel et les intermédiaires disparaissent. Par exemple, les managers pourraient remplacer les bookers, enfin c'est mon avis. Je pense aussi que les prix vont baisser. Avant, en tant qu'artiste tu pouvais facilement demander un cachet de 5000 euros pour jouer devant 650 personnes à P60. Si P60 organisait ce genre d'événements maintenant, il faudrait multiplier le prix des billets par dix pour couvrir les dépenses. Donc les artistes auront intérêt à baisser leurs prix sinon les tickets seront bien trop chers. Ça sera l'un ou l'autre.'
Il n'y a pas de positif dans tout ça?
'C'est très compliqué pour tout le monde dans l'industrie. J'ai pris le temps de télécharger pas mal de trucs, comme des cours d'Ivy League. J'ai plus de 450 cours à portée de clic maintenant, du code informatique au management. C'est à ça que je passe mon temps maintenant. Les agents, les promoteurs, les bookers, on a pas d'autre choix que de saisir les opportunités qui se présentent à nous, on doit être créatifs pour trouver des solutions parce que ça va être très difficile de repartir. Le monde va changer et je pense qu'on doit être préparés à toutes les éventualités.'
Il y a quelques années, tu as fait un stage chez Gigstarter. Comment tu l'as vécu, qu'est-ce que tu as appris ?
'Avec Gigstarter j'ai pu voir les coulisses de l'industrie musicale. Quand j'étais stagiaire, je n'avais jamais rien organisé mais j'avais des contacts. Ça a commencé avec Gigstarter : tout le monde faisait des choses avec ou en rapport avec le secteur musical, et moi aussi je voulais faire ça ! J'ai traversé les Pays-Bas pour le compte de Gigstarter et j'ai visité tous les bars et tous les clubs. On a aussi vu que les demandes de concerts avaient explosé : plus de 800% en un mois ! Sans Gigstarter, je n'aurais jamais commencé à organiser des événements.'
Tu fais aussi de la musique, tu te fais appeler Hamidox et TwoPhazed. Tu as deux casquettes, celle de l'artiste et celle de l'organisateur. Ça a des avantages ?
'Je comprends mieux les combines. En fait, j'ai plutôt six casquettes : je fais de la programmation, je suis manager, je fais de la gestion, j'organise mes propres événements, je suis producteur et DJ. Donc je peux analyser les problèmes sous différents angles.'
Quel genre de souci tu peux rencontrer quand on veut te booker comme DJ par exemple ?
'On me demande souvent de jouer gratuitement. Quand c'est pour des amis, bien sûr. Mais quand ce n'est pas le cas, je sais qu'il y a de l'argent en jeu quelque part. Même pour un petit événement, je refuse de payer pour le transport moi-même, mais les gens essaient quand même parce que je ne suis pas un DJ très connu.
Un autre exemple, c'est quand un manager viendra me demander (en tant qu'organisateur), un cacher de 6500€ pour un artiste. Ils essaient de demander des gros cachets pour n'en donner qu'une petite partie à l'artiste en pensant que ça suffira. Un manager peut se faire beaucoup d'argent avec ce genre de truc, mais avec moi ça ne marche pas. Je leur demande souvent si leur artiste est au courant, et à la fin des débats on arrive plutôt à un prix autour de 1200€.'
La dubstep et la drum 'n bass sont plutôt des genres de niche. Est-ce que tu t'en rends compte en termes de marketing ou de groupe cible ?
'Quand tu regardes, le rock c'était massif. Les gens n'écoutaient que ça, leurs enfants aussi. Donc à se passait de génération en génération. On commence à voir la même chose avec le hip hop. Le hip hop c'est le plus gros genre du monde maintenant, et je pense que c'est en partie parce que c'est ce que les gens écoutaient dans les années 90. Je pense que ça va finir par arriver avec l'électro et la dance. La dubstep, ça peut venir avec comme un sous-genre qui sera considéré comme de l'EDM dans l'appellation, ça marche très bien en Amérique. En Europe, la grosse vague est déjà passée aux Pays-Bas, mais il y a de la dubstep dans les festivals en Italie, et il y a des festivals entiers en Espagne. En France aussi, il y a des événements. C'est peut-être des genres de niche, mais je pense que les prochaines générations continueront à écouter. En plus, la musique devient de plus en plus électronique. Je pense que d'ici 20 à 30 ans, l'éléctro sera aussi populaire que le hip hop.'
Tes line-ups ont souvent de gros noms comme Counterstrike, Funtcase, Mefjus ou Audio. Comment tu arrives à les avoir pour tes événements ?
'Neuf fois sur dix, il faut avoir de la chance. Avoir la chance de connaitre l'artiste, son manager ou un booker qui le connait et qui peut t'aider à avoir un deal. Parfois, ils connaissent un peu ce que tu fais et ils peuvent baisser un peu les prix. C'est toujours difficile d'avoir les artistes parfaits pour ton événement. Avec les gros artistes, tu dois discuter avec le management, les agences de booking et tu ne dois pas oublier ce que l'artiste en pense. Puis il y a les contraintes liées aux autres événements aussi, comme les exclusivités. Ça peut arriver souvent qu'un artiste ne puisse pas jouer dans un pays pendant six mois, par exemple.'
Comment un DJ émergent pourrait t'intéresser pour un événement ?
'Ca ne suffit pas d’ajouter quelqu'un sur Facebook sans un petit message d'introduction et de sortir un lien directement en disant "ça c'est mon morceau, écoute le, j'aimerais bien mixer à ta soirée". Il vaut mieux essayer de discuter normalement d'abord. Bien sûr, être connu ça aide pour être programmé pour facilement, et c'est la difficulté pour les artistes émergents. Mon conseil : trouvez votre avantage à vous, le truc qui fera dire "woah, il faut qu'on te booke!". Un des gros points forts de Cookie Monsta et Funtcase c'est qu'ils faisaient des battles sur scène. Ils avaient quatre decks et faisaient comme s'ils se renvoyaient les kicks.'
'Un autre point important, c'est de rester le plus amical possible avec tout le monde. C'est un petit milieu, tout le monde se connait. Il faut aller voir les événements, essayer de parler aux gens sur place. Vous pouvez leur dire que vous êtes DJ, mais il faut avoir eu une conversation "normale" d'abord.'
Quels sont tes futurs projets? Tu étudies des choses totalement différents. Tu comptes essayer de lier ça à tes événements ?
'Oui, j'ai déjà commencé. J'ai organisé 'Misfitters', c'est un événement pour les misfits, donc les gens qui ne rentrent pas dans le mainstream. J'ai organisé un événement où je prenais en photo les gens qui avaient les allures les plpus bizarres et elles devenaient la mascotte de l'édition suivante. C'est un moyen de montrer aux gens qu'ils peuvent s'accepter et s'aimer même s'ils sont différents. C'est gens sont spéciaux, ils ne rentrent pas dans les cases mais ce n'est pas négatif. Moi aussi je me vois comme un misfit quelque part. Donc oui, j'essaie de mélanger ce que j'apprends pendant mes études, mes stages et ce que je fais pendant mes événements.'
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